Un premier concept à comprendre, relatif à la démographie, est la longévité. Chaque espèce animale est définie par une longévité qui, chez l’humain, est d’à peu près 100 ans, même s’il y a des exceptions célèbres comme celle de Jeanne Calment. L’espérance de vie est, elle, la moyenne du nombre d’années qui sont à vivre. Chose d’extraordinaire, car unique dans l’histoire de l’humanité, l’espérance de vie à la naissance a fait au cours du 20ème siècle un bond de 20 à 30 ans. En 1900, une époque que décrit Zola, il y avait plus de 20% de la population qui décédait avant d’atteindre l’âge de 10 ans à cause de la précarité, des infections ou encore de la mortalité périnatale.
La gériatrie est une discipline extrêmement moderne puisqu'elle s'occupe ou va s'occuper de gens qui n'existent pas encore. En 1970, la population de 90 ans n'existait pas. Ces personnes désormais très âgées vieillissent avec des problèmes de santé spécifiques auxquels il faut répondre. C'est du soin, mais aussi de l'humanité. Il faut avoir envie d'écouter des histoires, beaucoup d'histoires et de les faire raconter. Mais c'est aussi être un technicien hors pair car c'est beaucoup plus difficile d'arriver à des diagnostics chez des gens qui ont plein de maladies que quand on en a une seule.
Quand on choisit un traitement pour un patient âgé on réfléchit au bénéfice potentiel qu'il va avoir et au risque que l'on prend. C'est particulièrement vrai quand vous avez des gens qui arrivent avec des listes de 10-15-20 médicaments accumulés par nos collègues spécialistes d'organes. Chacun traite la maladie qu'il doit traiter sans forcément avoir cette vision globale. Donc on est dans cette discussion éthique permanente du juste soin. Personne n'a vécu encore cette révolution démographique. Vous avez écrit à peu près votre parcours de vie à 60 ans, on savait que la retraite on mourrait juste après. Dès qu’il y a eu plus de personnes dites du « 3e âge », on s'est dit qu'est-ce qu'ils vont faire ? Comme on vieillit de mieux en mieux, on a des gens qui ont trouvé une place. Mais on ne donne pas encore de place au 4e et au 5e âge.
Discipline dédiée à la personne âgée, la gériatrie est une médecine exigeante au cœur de laquelle poly-pathologie, iatrogénie, décompensations en cascade, fragilités ou encore limitations d'autonomie se mêlent à une prise en charge nécessairement humaine. La personne est au cœur de la prise en charge, aucun domaine d'intervention ne doit être négligé, et aucun organe ne doit être oublié.
Un travail en équipe multidisciplinaire pour une prise en charge globale est primordial : infirmier, aide-soignant, services d'aides à domicile, ergothérapeute, kinésithérapeute, professeur d'activité physique adapté, assistant social, psychologue, diététicien et bien d'autres encore permettent cette nécessaire approche globale. Apprendre à travailler ensemble est la clé d'une prise en charge gériatrique réussie.
Au sein d'un organisme affaibli par l'accumulation de facteurs de risques et les séquelles de pathologies passées, les signes cliniques d'une maladie sont souvent amoindris et trompeurs. La démarche diagnostique est d'autant plus difficile qu'une pathologie en entraine souvent une autre, peut masquer les symptômes de la pathologie initiale, provoquer des décompensations successives... La démarche thérapeutique nécessite quant à elle d'évaluer le rapport bénéfice-risque de chaque intervention, considérer les comorbidités, l'espérance de vie et la qualité de vie. Le bon sens est de rigueur, chaque pathologie chronique et aigue nécessitant une approche globale construite et réfléchie : l'expertise gériatrique.
Les possibilités d'exercice offertes par la gériatrie sont vastes : médecine aigue au sein d'unités de post-urgences gériatriques ou de court séjour ; travail de moyen séjour au sein de soins de suite et réadaptation (SSR) ; suivi médical au long cours de résidents polypathologiques au sein d'EHPAD ou à haut risque de décompensations rapides au sein d'Unités de Soins de Longue Durée (USLD) ; activités d'hôpital de jour diagnostique ou de rééducations, consultations mémoires, unités mobiles...
La discipline est récente, expliquant parfois le manque de considération dont elle souffre par méconnaissance, mais tout se développe : la recherche émerge et s'étend offrant des possibilités de carrières universitaires, la Silver Économie se structure, des techniques et thérapeutiques innovantes nécessairement maitrisées par le gériatre permettent d'allonger l'espérance de vie mais parfois au prix d'une dépendance plus lourde ou d'un bénéfice discutable requérant une véritable expertise gériatrique dont l'apport est de plus en plus reconnu et valorisé.
Article rédigé par Bruno Favier, médecin gérontologue, directeur médical MGEN
Sources :
- Pr. Gaétan Gavazzi (13h00 de France Inter juin 2019)
- Site : Devenir gériatre.org
- Revue : Gériatrie et gérontologie