Première mutuelle des agents du service public,
MGEN s'est toujours engagée pour le progrès social
et pour l'école de la République. Tous les engagements qu'elle prend et porte dans le débat public ont un trait d'union commun : la laïcité.
Philosophes, journalistes, écrivains, enseignants : ils s'engagent à nos côtés pour rappeler les fondements, le sens et la valeur de la laïcité au coeur de notre société, du service public et de l'école républicaine.
Raphaël Enthoven
Philosophe, journaliste et essayiste
« La laïcité n'est pas fille du scepticisme, elle est fille de la déconstruction de la chimère divine. »
Dans son Traité théologico-politique (1670), Spinoza réclame la subordination du pouvoir religieux au pouvoir politique.
Dans la préface de ce texte fondamental, il commence par décrire l’inconstance humaine, soumise aux quatre vents, la crédulité humaine et ses méfaits. Si les hommes étaient capables de gouverner toute la conduite de leur vie par un dessein réglé, leur âme serait libre de toute superstition, mais ce n’est pas le cas. Les hommes flottent entre l’espérance et la crainte, ils ne savent pas désirer avec mesure. Leur esprit s’ouvre à la crédulité, chancelle dans l’incertitude, etc. Autrement dit, les hommes sont manipulables car ils sont soumis à leurs émotions. À la moindre bonne fortune, ils décident que l’avenir sera excellent. Au moindre coup du sort, ils sont désespérés et se demandent pourquoi Dieu leur en veut. Dès lors, ils le couvrent d’offrandes inutiles car ils interprètent les phénomènes naturels à l'aune de leur désir. Le tort des hommes, c’est de dépendre de ce qui ne dépend pas d'eux-mêmes.
D’où cela vient-il ? D’un seul affect : la crainte. La superstition n'entre dans le cœur des hommes qu'avec la crainte. Pour l’illustrer, Spinoza prend l'exemple d'Alexandre devenu superstitieux quand il a rencontré des obstacles et qui a cessé de l’être lorsque la fortune est redevenue favorable. Tous les hommes font l'objet de superstition parce que tous les hommes font l'objet de la crainte. Comme les hommes sont soumis à leurs émotions, ils sont manipulables, et donc ne demeurent pas dans la même superstition.
Quand il écrit ce texte, Spinoza se trouve dans les Provinces-Unies (les Pays-Bas), sous le gouvernement des frères de Witt, dans une république libérale où les opinions ont droit de cité. Il a donc la liberté d’un tel écrit : « Le rare bonheur m’étant tombé en partage de vivre dans une république où chacun dispose d'une liberté parfaite de penser et d’adorer Dieu à son gré et où rien n'est plus cher à tous et plus doux que la liberté, j’ai cru faire une bonne chose, et de quelque utilité peut-être, en montrant que la liberté de penser, non seulement peut se concilier avec le maintien du salut de l'État, mais même qu'on ne pourrait la détruire sans détruire du même coup la paix de l’État et la piété elle-même. » Ce passage est fondamental et majeur : pour Spinoza, la déconstruction de nos superstitions débouche non pas sur leur éradication, mais sur leur préservation au sein d'un régime de libertés.
Autrement dit, la conscience de la soumission des hommes à la superstition du moment ne conduit pas au projet de purger en chacun l'idole divine, mais au contraire à celui de garantir à chacun le libre exercice de sa superstition ou de sa croyance. De ce fait, un régime dont le credo serait l'absence de dieu n'est pas moins dangereux qu'un régime où une superstition parmi d'autres régenterait nos comportements.
Spinoza articule ici deux idées qui pourraient sembler contradictoires : la déconstruction de la chimère divine et la promotion d’un système où chacun peut adorer la chimère de son choix. Le droit de croire ou de ne pas croire – ce à quoi les gens qui détestent la laïcité la réduisent souvent –, de penser n'importe quoi, d'avoir l'idole de son choix, etc. ne repose pas sur l'ignorance quant à la chose divine, n'est pas la fille du scepticisme ou de l’agnosticisme. La laïcité est fille de la déconstruction du mythe divin, d’un dieu recteur, d’un dieu roi, d’un dieu transcendant.
La laïcité est avant tout la liberté de conscience. Et c'est parce qu'elle est la liberté de conscience qu’elle est la liberté de croire ou non. Cela ne signifie pas que la croyance entre en contradiction avec l'idée de la laïcité, mais qu'à l'origine de la laïcité, il y a l'incroyance fondamentale du philosophe qui se donne la raison pour méthode.
Henri Peña-Ruiz
Philosophe et écrivain
« La laïcité est émancipatrice et de portée universelle. »
Que se passe-t-il dans l’histoire quand il n’y a pas de laïcité ? Remontons à l’Ancien Régime pour le savoir. En 1762, le protestant Jean Calas est injustement accusé d’avoir tué son fils. Le Parlement de Toulouse siège, l'Église catholique prend position et Jean Calas subit le supplice de la roue puis est étranglé avant que son corps ne soit brûlé. C’est d’ailleurs à cette occasion que Voltaire, convaincu de l’innocence de Jean Calas, rédige l’un de ses plus beaux textes, Traité sur la Tolérance, pour demander au roi de réparer l’injustice commise. Peu de temps après, en 1766, le chevalier de La Barre est accusé à tort de blasphème et de sacrilège. Il est jugé sans aucune garantie juridique, puis étranglé et brûlé vif, le Dictionnaire philosophique portatif rédigé par Voltaire planté sur son torse. Nous le voyons au travers de ces deux exemples : dans l’Ancien Régime, l’intolérance criminelle et l’injustice régnaient.
La France était supposée être la « fille aînée de l’Église. »
En 1789, la Révolution française change la donne. D’une part, elle établit que la liberté découle de l’essence même de l’homme :
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Le mot « naissent » est ici important car il atteste que la liberté est inaliénable. Le droit naturel prend la place du droit divin. C'est par nature, par essence, en tant qu’êtres humains que les hommes sont libres et égaux. L'égalité et la liberté ne sont donc pas un cadeau contingent de l'autorité politique. D’autre part, la Révolution française redéfinit la nation. Cette dernière n’est désormais plus pensée comme une communauté humaine obligée de consentir à des particularismes coutumiers et religieux, mais comme un peuple souverain qui, comme le disait déjà Rousseau dans le Contrat social, se donne à lui-même sa propre loi. L’essence de la nation n'est plus ethnico-religieuse, donc particulière, mais devient juridique et politique. Par l’énoncé des droits de l'être humain, elle devient universelle. C'est cet universalisme qui fondera la laïcité.
La laïcité est non seulement universaliste, mais aussi émancipatrice. Les athées tués en Egypte, les musulmans persécutés en Inde, les homosexuels qui se voient reprocher leur choix de vie, les femmes, qui ne veulent pas réduire la sexualité à la procréation ni être soumises au patriarcat, ont besoin de l’émancipation laïque.
La laïcité n'est pas un produit culturel semblable à une baguette de pain. Elle a été conquise dans l'Occident judéo-chrétien dans le sang et les larmes. Elle n'est donc ni le produit d'une civilisation qui serait supérieure à une autre, comme le dit le Rassemblement National, ni un racisme d’État, comme ose le dire le Parti des Indigènes de la République. Elle est l'émancipation pour tous et toutes. On a le droit, dans un pays laïque, non seulement de ne pas croire en Dieu, mais aussi d'affirmer son athéisme ou son agnosticisme et de dire que l’on suspend son jugement sur l'existence de Dieu. Il existe une solidarité formidable entre la dimension émancipatrice de la laïcité et sa portée universelle. Parce qu’elle est universaliste, la laïcité n’est pas propre à la France. Bien qu’elle soit parvenue à s’y imposer comme un principe républicain, son idéal-type n'y est pas totalement réalisé. En témoigne le Concordat d'Alsace-Moselle. Ce régime fait reposer sur l'ensemble des contribuables de la République française le financement des lieux de culte et établit l’obligation d’assister aux cours de religion ou de solliciter une dérogation, ce qui est une atteinte à la liberté de conscience et à l’égalité de traitement. La religion est la norme, la non-religion une dérogation à la norme. En témoigne également la loi Debré de 1959 qui fait, là aussi, reposer sur l’ensemble des contribuables français le financement d’écoles privées religieuses, alors que les écoles publiques manquent gravement de moyens.
La laïcité est bien universelle et n’est pas purement française, comme certains l’affirment. L’Espagne, par exemple, a des clauses de laïcité. « Aucune religion n'aura de caractère étatique », affirme sa Constitution, bien que l'Église continue à y jouir de privilèges importants. Atatürk a laïcisé la Turquie dès 1919, a donné le droit de vote aux femmes dès 1934. La laïcité, parce qu’elle est émancipatrice et universelle, est bonne pour tous les peuples.
Michèle Vianès
Co-fondatrice et présidente de l’association Regards de Femmes
« La laïcité sert l’égalité en droits des femmes. »
Dans toutes les civilisations, depuis les origines de l’humanité, les rapports humains se sont construits sur la hiérarchie patriarcale et l’assujettissement des femmes. Les religions jouent un rôle fondamental dans la formation et le maintien de cette domination des hommes. Dès lors, on peut se demander comment la laïcité, ce formidable outil d’émancipation des individus, a été utilisée par les femmes pour accéder aux droits humains universels.
Comment la hiérarchie patriarcale s’est-elle construite ? Pour convaincre les femmes de leur infériorité, toutes les sociétés humaines ont présenté le patriarcat comme un ordre naturel, décidé par les dieux. Les religions ont été fixées par les hommes et pour les hommes qui, pendant des siècles, ont eu le monopole de l'accès à la culture. En réaction à ce que l’anthropologue Françoise Héritier appelle « le pouvoir exorbitant des femmes de donner naissance aussi bien aux filles qu’aux garçons », les hommes ont construit une hiérarchie patriarcale grâce à laquelle ils ont eu les femmes à leur disposition. Et ils ont donc eu besoin de la servitude, forcée ou volontaire, des femmes pour contrôler que leurs fils étaient bien les leurs. Ces constantes misogynes se retrouvent dans toutes les religions.
Regardons ensuite comment la laïcité s’est construite. Certes, les philosophes des Lumières ont promu la notion d’individu, cet être autonome et doué de raison. Mais les inégalités liées au sexe ou à la naissance ont été maintenues et, avec elles, la sujétion. Aux 17e et 18e siècles, la domination masculine n’a été remise en question qu’à de très rares exceptions. La philosophe Élisabeth Sledziewski a démontré que, pendant la Révolution française, la civilisation occidentale avait découvert que les femmes pouvaient avoir une place dans la cité et non plus seulement dans l'ordre domestique. Condorcet a écrit que reconnaître le statut d'individu aux uns impliquait de le reconnaître à tous, quels que soient leur religion, leur couleur ou leur sexe. Il a également affirmé que l’instruction devait être publique, laïque, gratuite et commune aux hommes et femmes. Enfin, il a dénoncé le rôle des prêtres qui, en soumettant la sexualité et l'esprit des femmes à une autorité qu'on ne leur demandait pas de comprendre, les préparaient à leur servitude. Les lois établissant la laïcisation de l'état civil et le divorce (1792), grâce auxquelles la femme pouvait désormais choisir son mari et le quitter, provoquèrent le vertige d’une majorité de révolutionnaires ! Et un an plus tard, la Convention ferma les clubs féminins.
Un siècle plus tard, les grands Républicains ont réalisé l'erreur. Pour Jules Ferry : « Celui qui tient la femme tient tout, c'est pourquoi l'Église veut retenir la femme. Et c'est aussi pourquoi il faut que la démocratie la lui enlève. » L’accès à l’école a ouvert la voie de l’égalité des chances avant que la religion ne soit renvoyée à la sphère intime, en 1905, avec l’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État.
Comment les femmes se sont-elles emparées de ces lois ? Partout dans le monde, en suivant des cheminements différents, elles se sont affranchies du poids des religions et ont revendiqué de disposer librement de leur corps, de leur esprit et de maîtriser leur désir d'enfant. Au milieu du 20e siècle, elles avançaient tête nue et esprit libre à Alger, à Téhéran et dans d’autres capitales.
Mais les « machocrates » ont paniqué devant ces avancées. Convaincus que l’émancipation des femmes était la cause de tous les fléaux de la société, ils ont appelé les religions au secours. Pour convaincre les femmes de revenir aux schémas théocratiques patriarcaux, ils ont recyclé les vieux discours hypocrites de protection des femmes. Les votes conjoints, dans les organisations internationales, du Saint-Siège, des fondamentalistes américains et des États musulmans contre le droit aux femmes de disposer de leur corps en est bien la preuve. L’accusation d'ethnocentrisme proférée par ceux qui veulent enfermer les femmes dans la tradition patriarcale est révoltante. Ces discours englobants de tous les fondamentalismes nient l’autonomie de l’individu et le principe universel d'égalité en droits, devoirs et dignités des femmes et des hommes.
Nous, qui avons eu la chance d’être nés dans un pays laïque, sommes comptables de cet acquis majeur à l’égard des jeunes générations à qui nous devons le transmettre, mais aussi à l’égard de celles et ceux se battent encore, partout dans le monde, pour que la laïcité figure dans leur Constitution.
Tristane Banon
Écrivaine, journaliste et éditorialiste à Franc-Tireur
« Battons-nous pour réconcilier féminisme et laïcité ! »
Élisabeth Badinter dit à juste titre qu’il n’y a pas de féminisme possible sans une bonne part de laïcité. Pour s’accomplir, le féminisme ne peut se couper de la laïcité. Pourtant, bien que nous soyons à l'ère la plus féministe qui soit, la laïcité est en danger constant, attaquée de toutes parts, notamment par celles et ceux qui prétendent défendre la cause des femmes. Le monde post #MeToo ne serait-t-il pas féministe ? Les féministes qui l’incarnent se ficheraient-elles de nous ?
On peut sans doute répondre par l’affirmative à ces deux questions. Certes, les avancées post #MeToo sont évidentes. J’y suis d’ailleurs acquise : comment regretter que l'on ne puisse plus si facilement mettre la main aux fesses des collaboratrices ou violer sa voisine sans prendre le risque d’un procès car elle ne se taira plus ? Il faut se réjouir de ce progrès. Mais c’est peut-être l'ère victimaire, pendant de ce ce nouveau féminisme, et sa volonté mortifère de chercher sans cesse en chacun la victime à défendre, qui rendent difficile, voire risquée, la défense de la laïcité.
Le féminisme intersectionnel semble le point d’orgue de la « victimocratie ». Il tire pourtant son origine d'une belle idée : parce que l’on peut être victime tout à la fois de sexisme, de racisme, d’homophobie, de grossophobie…, pourquoi ne pas se tenir la main ? Cette belle idée est dangereuse car, dans la pratique, elle impose de faire un choix entre des luttes en théorie placées sur un pied d'égalité. Par exemple, quand la République laïque interdit l’abaya à l’école, le féminisme devrait se réjouir que les lieux d’éducation répondant à la devise du pays – liberté, égalité, fraternité – permettent à nos jeunes filles de s'extraire de tout dogme, de toute pression familiale, religieuse ou traditionnelle pendant le temps scolaire pour se former à l'esprit libre. Le féminisme intersectionnel attaque cependant cette application de la laïcité, pour ne pas vexer l'hypothétique sensibilité des croyants et ne pas manquer de respect à Dieu en portant atteinte à des injonctions religieuses – qui n'ont pourtant rien à faire à l'école laïque. L’interdiction de l’abaya à l’école reviendrait à stigmatiser les croyants, à faire preuve de racisme. Bien que l’abaya soit un vêtement d'infériorisation, ces féministes invoquent le droit des femmes à s'habiller comme elles l’entendent. Elle taxent les défenseurs de la laïcité d’affreux racistes, de fascistes d’extrême-droite, sans que le retour à une application rigoriste et patriarcale de la religion ne leur pose problème.
Bref, l’intersectionnalité fait de la laïcité l’ennemie à abattre quand elle est la meilleure alliée de l'émancipation de la femme. L'exemple de l’abaya à l'école est, bien sûr, transposable au voile dans les lieux de la République, au burkini dans les piscines publiques, et même à l'excision que certaines féministes ont trouvé le moyen de défendre.
Souvenons-nous de Mila, qui pourrait être n'importe laquelle d'entre nous demain si l’époque n’était pas dominée par la peur et l’excessive prudence quant au blasphème et à la caricature. Pour se défendre d’attaques homophobes sur les réseaux sociaux, Mila a mis le doigt dans le cul d’un dieu, dieu auquel on est, en France, libre de croire ou non. Pour cela, elle a reçu des milliers de menaces de mort, a été déscolarisée et placée sous une lourde protection policière. Le féminisme intersectionnel ne l'a pas défendue, certaines de ses représentantes ont même dit qu’elles se refusaient à soutenir des propos islamophobes, remettant une pièce dans la machine à menacer de mort.
Pour avoir défendu sa liberté d'expression, nous autres, féministes universalistes, avons été nombreuses à être menacées, ciblées, attaquées. Pour avoir défendu le droit au blasphème, j’ai été attaquée, insultée, traitée de raciste par des féministes. On m’a empêchée de donner des conférences. Des femmes ont voulu faire taire d'autres femmes au nom d'une variante moderne du féminisme, sans aucun respect pour une laïcité à laquelle elles doivent pourtant tout. Quelques cours d'histoire ne leur feraient pas de mal…
Si chacun de nous devient un défenseur de la laïcité, il n'y aura plus de Mila, de Samuel Paty, de Dominique Bernard, de Charlie… Nous sommes à l'ère la plus féministe qui soit, d'accord, mais battons-nous aussi pour être à l’ère la plus laïque qui soit. Le reste suivra.
Iannis Roder
Enseignant d’histoire-géographie
« Tous les élèves savent que l’école est laïque, mais peu d’entre eux savent ce que cela signifie. »
Tous les élèves savent que l’école est laïque, mais peu d’entre eux savent ce que cela signifie. J’enseigne depuis 25 ans en Seine-Saint-Denis et je peux vous dire qu’une majorité d’élèves comprend la laïcité comme une interdiction de parler de religion à l’école et comme une privation de liberté. Ces deux idées, bien qu’erronées, sont intéressantes car elles permettent de saisir comment les élèves vivent aujourd’hui la laïcité à l’école. Pour les déconstruire, j’explique aux élèves les implications de la laïcité scolaire et ses objectifs.
Contre la prétendue interdiction de parler de religion à l'école, je leur oppose que, en cours d’histoire avec moi, ils ont étudié les naissances du judaïsme, du christianisme et de l'islam ; en lettres, des textes d’auteurs issus du monde clérical ; en musique, une messe de Mozart ; en arts plastiques, des tableaux religieux. Les exemples sont nombreux. Aux élèves qui pensent qu’ils n’ont pas le droit de dire qu’ils sont croyants à l’école, je réponds : « Vous confondez les choses. La neutralité de l'école, soit la laïcité, s'applique aux enseignants, aux fonctionnaires. Les élèves, eux, n'ont pas ce devoir de rester neutres dans leur parole. » Un élève peut me dire que, dans sa famille, ils sont croyants et pratiquants. Moi, en revanche, je ne le dirais pas même si c’était le cas.
L’an dernier, un collègue, professeur de musique, est venu me voir embêté. Ses élèves s’étaient offusqués qu’il leur fasse étudier des musiques religieuses, pourtant empruntées à différentes religions (une messe de Mozart, une prière issue de la liturgie juive, une sourate chantée…). Ils avaient réagi à coups de « Vous n’avez pas le droit ! », « C’est sacré », « Vous essayez de nous convertir ». J’ai simplement conseillé à mon collègue de rappeler que la musique s'étudie avec la science musicale, et que c’est la seule chose qui nous intéresse ici. Ce n'est pas le message de la messe de Mozart ou de la sourate chantée qui est intéressant dans le cours de musique, mais la musicalité étudiée par les élèves. Chaque professeur enseigne une discipline scientifique qu’il a apprise et maîtrise. Il doit se saisir de ses supports d’enseignement en expliquant aux élèves qu’il s’agit d’étudier une matière scientifique. Ce que l'on enseigne est démontrable, et parce que c'est démontrable, c'est a priori acceptable par tous. La science se démontre, contrairement à la croyance. C’est très important de le dire, de le redire, de l’expliquer aux élèves. La posture de l’enseignant est ici très importante.
Rappelons, par ailleurs, que l’école de la République ne demande pas l'adhésion. L’école n’a pas pour objectif de convertir, au sens religieux du terme. Elle ne dispense pas un catéchisme républicain et ne demande pas aux élèves de considérer ses enseignements comme des vérités absolues. Non, elle propose des enseignements et les élèves en disposent. Récemment, des élèves arrivés en retard à mon cours m’ont expliqué qu’ils venaient d’avoir un contrôle sur la théorie de l’évolution en SVT et qu’ils n’y croyaient pas. Certes, j’aurais préféré qu’ils y croient, mais le plus important est qu’ils aient fait le contrôle. Rien ne les oblige à adhérer à ce savoir.
Il faut aussi casser l'idée, très répandue, que l’école serait « anti-religion ». L’école, comme l’État, met seulement la religion à distance. Il faut rappeler aux élèves que le professeur, en classe, ne connaît que des élèves, comme la République ne connaît que des citoyens. Peu lui importe ce qui nous détermine par ailleurs : c'est cela, la laïcité scolaire.
Les élèves évoquent aussi souvent la « laïcité coercitive », faisant référence à la loi du 15 mars 2004. Je leur demande alors pourquoi ils sont croyants. La plupart du temps, ils répondent que c’est parce que leurs parents le sont. Je leur explique qu’ils sont donc croyants parce qu’ils ont été conditionnés à l’être par leur famille. Leur croyance ne relève pas de leur liberté. L’école propose la liberté, offre une possibilité d’émancipation, que les élèves sont libres de prendre ou pas. En septembre 2023, en interdisant l’abaya à l’école, le ministre de l’Éducation nationale n'a fait qu'appliquer la loi de 2004. La question a été réglée en un mois : les jeunes filles ont choisi l’école, exactement comme elles l'avaient choisie en 2004. Quand l'État, la République, dit les choses avec fermeté, les choses fonctionnent.
à l'occasion de la Journée nationale de la laïcité,
co-signée par Matthias Savignac et Henri Peña-Ruiz.
Pour la 27ème édition des Rendez-vous de l’Histoire de Blois, MGEN a organisé la table ronde « Enseigner, penser et pratiquer la laïcité ». Aux côtés de Matthias Savignac, président MGEN, ont débattu Henri Pena Ruiz, philosophe et écrivain, Iannis Roder, responsable des formations au Mémorial de la Shoah et Michèle Vianes, présidente de Regards de femmes.
A cette occasion et comme chaque année, MGEN, la CASDEN et la MAIF ont remis le prix de l’initiative laïque 2024 à l’association Thésée représentée par son président Ludovic Armoët.
Créée le 1er octobre 2019 à Cenon, Thésée a pour objet la mise en place d’actions innovantes et structurantes dans les domaines de l’insertion, de l’inclusion et dans tout champ ayant pour finalité de développer le réflexe du bien vivre ensemble et la propagation des valeurs de la République et du principe angulaire de laïcité. Après avoir agi dans un cadre collectif ou institutionnel, un groupe d’acteurs citoyens s’est engagé pour donner vie à un projet collectif, participatif, de proximité, inclusif et citoyen au service de tous et en particulier au service de publics vulnérables et fragiles. Selon Ludovic Armöet, le renvoi régulier aux valeurs partagées qui font communauté humaine, l’appel à la responsabilité individuelle et entière de la citoyenneté et la mobilisation des solidarités sont nécessaires pour un meilleur vivre ensemble. Avec son association, il initie des projets actions collectives variés et de proximité.
Le 15 novembre dernier, Matthias Savignac, président MGEN, a participé à la table ronde : « La transmission de la laïcité » organisée par La Ligue de l'enseignement. Aux cotés de Stéphane Aurousseau, auteur de « Promouvoir la laïcité (en milieu hostile) »; Gwénaële Calvès, membre du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République, ministère de l’Education nationale, juriste autrice de « La Laïcité » et Iannis Roder, membre du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République, consultant pédagogique, conférencier.
« La laïcité est un principe pour la liberté de conscience, pour l’égalité des droits, pour le respect de tous, pour la considération de tous les citoyens, indifféremment de leur croyance ou de leur non-croyance. »