Chantante, pâteuse, hésitante, fluette, éraillée, suave… : notre voix dit de nous ce que nous ne verbalisons pas. Cette voix que l’on méconnaît, que l’on découvre avec étonnement, voire avec appréhension, sans la reconnaître et sans nous reconnaître, lorsque nous y sommes confrontés à travers un enregistrement. Cette voix qui semble échapper à notre contrôle, mais qui est un puissant instrument d’affirmation de soi, de persuasion, de séduction, dès lors que l’on arrive à en élucider le caractère mystérieux, à la dompter et à la commander.
Notre voix, c’est notre porte d’entrée vers autrui, à travers les interactions qui s’instaurent avec nos interlocuteurs. Notre voix dit beaucoup de notre état physique et psychique, c’est une porte ouverte vers un état d’intimité dont nous sommes loin d’être conscients. Une situation stressante ou embarrassante, et voilà notre voix qui se noue dans notre gorge, qui dérape vers l’aigu, et qui a besoin d’une petite remise à niveau, d’un petit raclement pour la libérer, pour lui redonner son envol, sa clarté et sa puissance. Notre voix a des capacités d’adaptation, de théâtralisation, qui se retrouvent à travers les modulations que nous sommes capables de lui imposer, et qui disent beaucoup de nos propres représentations du monde qui nous entoure : la « voix de bébé » perchée dans les aigus que nous adoptons avec un nourrisson, la voix de loup du Petit Chaperon Rouge que nous plongeons dans le grave avec délectation, et autant de modulations qui éclairent sur sa richesse et ses variétés.
La voix est-elle le miroir de l’âme ? Question qui taraude chanteurs, comédiens, écrivains, orateurs… La voix véhicule nos émotions. C’est principalement à travers ses variations mélodiques mais aussi la qualité vocale dans son ensemble, notre débit de parole, le volume sonore, que nous renseignons nos interlocuteurs sur notre joie, notre tristesse, notre colère, et d’autres émotions que nous pouvons ressentir. Elisabeth Fresnel, phoniatre, évoque « la palette d’un peintre ».
Notre voix est une construction intime. Elle rassure, elle console, elle accompagne, elle menace, elle se casse, au gré des situations et des humeurs. Celles et ceux qui sont habitués à écouter la radio savent à quel point une voix peut devenir intime et familière, et à quel point notre voix peut induire des représentations sur notre âge, notre apparence, notre caractère, notre humeur du moment. Notre voix imprime sa marque dans les esprits, on la reconnaît entre mille, son souvenir éveille une multiplicité d’émotions et de sensations, et l’efficacité avec laquelle nous la contrôlons a un impact sur notre influence sur autrui.
Notre voix est aussi une construction sociale. Que l’on aspire à des fonctions de pouvoir, que l’on soit politique ou dirigeant d’une entreprise, ou que notre voix soit notre outil de travail, comme c’est le cas des avocats ou des enseignants, on se doit d’avoir une voix qui soit en conformité avec l’image que l’on souhaite donner ou avec le message que l’on souhaite véhiculer. C’est par la voix, autant que par le verbe, que l’on se pose et que l’on s’impose.
Notre voix est aussi une construction culturelle. Du style vocal « vocal fry » prisé par de plus en plus de jeunes américaines, avec ses modulations vers les fréquences graves, et ses craquements, aux voix haut perchées comme celles des dessins animés, ou encore aux voix rocailleuses comme celle du chanteur Garou qui dit l’avoir cultivée au travers de multiples influences, notre voix dit beaucoup de nos appartenances culturelles. Comme l’écrit Anne Karpf (2008) : « Mes habitudes vocales traduisent mes origines rurales ou urbaines, ouvrières ou huppées, aussi certainement que les règles de prise de parole que je respecte ou enfreins. Je parle avec ma voix, mais ma culture parle à travers moi ».
Notre voix fait aussi partie de notre corps, elle est interconnectée à nos gestes, elle serait même commandée par les mouvements corporels : « La voix se voit, le mouvement s’entend », écrit Régine Llorca, phonéticienne, comédienne et formatrice.
Pour finir, notre voix dit beaucoup de nous, sur le plan de nos émotions, de nos intentions, de notre appartenance sociale et culturelle, et nous avons intérêt à en être conscients car les autres perçoivent ce que nous ne percevons pas.
Article rédigé par Laura Abou Haidar, Maîtresse de conférences HDR en Sciences du langage, Université Grenoble Alpes